la pièce

COSMETIQUE DE L’ENNEMI

d’Amélie NOTHOMB

Adaptation de Christian Touzé

Création : mai 2007

Aff_COSMETIQUEL’AUTEUR :
Amélie Nothomb est née au Japon, dans la ville de Kobé, le 13 août 1967. Profondément imprégnée par la culture nippone, celle-ci peut en effet se vanter d’être parfaitement bilingue dès l’âge de cinq ans. Une destinée d’expatriée et un sentiment de solitude qui l’incitent, petit à petit, à se replier sur elle-même.
Le débarquement en Belgique à l’âge de 17 ans, dans la patrie familiale, amplifie encore son mal-être. Se sentant rejetée dans sa nouvelle université où elle poursuit des études gréco-latines, elle découvre une culture et un mode de vie occidentaux qui lui avaient alors totalement échappés ; le choc est brutal.
Véritable phénomène littéraire, la jeune femme enchaîne les publications à raison d’un livre par an, qui connaissent tous une impressionnante carrière commerciale.

LA PIECE :
Coincé dans un aéroport alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour Barcelone, l’homme d’affaires Jérôme Angust se voit contraint de supporter, en plus du retard de son avion, la logorrhée d’un étrange individu, bien décidé à lui imposer le récit de sa vie. Qui est donc ce Textor Texel qui le harcèle ? Pourquoi ce raseur a-t-il jeté son dévolu sur lui ? Le dialogue s’engage pourtant entre l’importun et sa victime, vif, alerte, ponctué de réparties cinglantes, prenant les allures d’une joute de haute tenue, et dévoile la passé trouble de Textor, en même temps que le malaise croissant de Jérôme. Car il se sent cerné, l’homme d’affaires irréprochable, par cet étranger qui semble si bien connaître les tréfonds de sa conscience et dont les crimes font douloureusement écho à un passé qu’il croyait enterré. Étranger, cet ennemi ? Pas tant que ça ! Et si, finalement, cette rencontre n’était pas tant le fruit du hasard que l’objet d’une préméditation diabolique destinée à l’anéantir ?

LA RESONANCE :
De l’ennemi intérieur, du Déni…

LE TRAITEMENT : Ma cosmétique du double
Si le déni ressort comme une pierre d’achoppement du texte d’Amélie NOTHOMB, la fascination de la mort (cimetière, tombes, meurtre, besoin d’être châtié et/ou délivré de la culpabilité par la mort) est omniprésente dans Cosmétique de l’ennemi.
Mais la mort peut aussi être entendue comme passage, passage initiatique d’un état de conscience vers un autre état de conscience. C’est cette mort symbolique que j’ai retenu pour le traitement de la scénographie. En effet, le décor est constitué d’un pont d’acier (passage d’une rive à l’autre, de la vie à la mort) ainsi que de quatre autres éléments, réductions à diverses échelles du pont principal.
Dans le « passage d’une rive à l’autre » j’y ai aussi reconnu celle de l’Occident et celle de l’Orient, cette dernière culture chère à l’auteur puisqu’elle est née au Japon. Ayant souhaité que le personnage féminin évoqué dans l’œuvre soit présent tout le temps de la rencontre des deux protagonistes, comme matérialisation rationnelle de qui est à l’origine de l’intrigue, j’ai choisi de la faire évoluer en empruntant les voies du Butô, cette danse japonaise tout en intériorité et elle aussi marquée par l’opposition extrême lenteur/frénésie. J’ai eu l’occasion, en travaillant sur cet art, de tomber sur les phrases suivantes d’une artiste de Butô faisant référence dans le monde et qui m’ont littéralement confondu tant ses propos incarnaient ma démarche :
La danse Butô est située au nœud de la lumière et de l’obscurité, de la vie et de la mort, de la réalité et du surréel ; c’est une technique sacrée qui assimile les antagonismes.
« Mon solo, UTT, est un voyage, l’itinéraire d’une femme japonaise de la vie à la mort, ou peut-être de la mort à la naissance. […] (à propos du titre) Pour moi, c’est simplement un cri, une onomatopée, comme si on recevait un coup brutal dans le ventre : Utt ! »
« Je trouve à ce moment-là deux « moi » coexistant, l’un qui ne se contrôle plus dans un état de transe et l’autre qui le regarde clairement. »
CARLOTTA IKEDA, Danse Butô et au-delà, Editions FAVRE

Le même personnage en croisement (crucifixion) permanent avec lui-même, en conflit permanent avec lui-même, dans son attitude physique, son déplacement, son apparence vestimentaire, comme un grand X, un être condamné à l’ « ixage », donc au refus de lui même, par lui-même, voué à la disparition prématurée. Opposition de deux contraires faisant un, les protagonistes évoluent dans un espace où l’éclairage est essentiel, deux zones.

Christian Touzé, 28 Octobre 2007

CREATION GRAPHIQUE :
Pour mettre en place l’affiche adaptée au texte d’Amélie Nothomb, nous avons, dans un premier temps, retenu l’idée du double. L’homme double, dédoublé, porteur de mort, confronté à son ennemi intérieur. Mais au fur et à mesure que la mise en scène et la réflexion avançaient, un éclairage nouveau s’est imposé, basé sur une démarche artistique japonaise : le butô. Des lignes de forces, travaillant l’ombre et la lumière, un visuel dépouillé, le jeu de contrastes, dirigeaient dès lors l’approche de la scénographie.

Selon cette logique, l’affiche a été élaborée pour « représenter » nos choix esthétiques et sémantiques. Nous avons alors resserré le graphisme, mettant l’accent sur un questionnement présent tout au long de la pièce : quel lien existe-t-il entre le corps, le sexe et la mort ? La présentation sous forme de bannière vient souligner la verticale épurée d’un faisceau de lumière, donne sa place à chaque élément signifiant, et s’accorde aux cinq modules de la scène. Seule tache de couleur, le point rouge centre et cible les actes de vie-violence des personnages. Et comme une radiographie, noir et blanc, positif/négatif, mat/brillant, révèlent l’intime d’un mal mortifère.
M.H.A

SCENOGRAPHIE : De(s) cor(p)s
D’abord une idée. Papier et crayon, partir et créer, dans le vide, un monde presque à soi. Rêve-dessin, traits successifs, boule papier, jusqu’à toucher l’image que nous avions en tête. Voilà, notre décor, nous le tenons !
Redessiner ensuite, découvrir les proportions. Modéliser la pensée, avec plus de précision. Hypoténuse carcan. Admettre les ajustements ; non pas compromettre, mais faire des compromis. Rêve contre réalité ? Matière choisie : ce sera l’acier. Calculons donc, testons les limites de l’élastique. Gymnastique du jargon, mise en bouche, recette à base de masse, d’inertie, d’effort, de flexion. Les corps s’affinent dans le virtuel, pas après pas.
Et puis cette première matière, on la touche enfin du doigt. Acier brut, froid et rouillé, il se plie à l’exigence de l’idée. Technique art tectonique, de cet oxyde laminé, matière au goût de sang. Étreinte ductile, accouplement curviligne, soudure ombilicale. Électrique crépitant, fièvre trans-fusion, troncature concaténation. Mal aux mains crispées, Butô de ferraille, corps mécanique. Peau rouge, danse d’automate, une arête et c’est l’entaille. Profonde.
Ultimes finitions, montage boulons breloques. Caresses abrasives des aspérités, le long du galbe tubulaire. Patinage artistique, l’esprit s’échauffe, il a hâte. Gangue poussière, limaille maligne, sueur charbon, acétone capitale. Lent effeuillage pour rendre le métal ludique. Dévêtu, en pleine lumière, il brille. Surface miroir. Fin de la mise au monde. Émancipation vers la scène, enfin. Sur les planches, ces objets inertes prennent vie, et deviennent décors.
Marc Vionnet

CRÉATION MUSICALE :
Le groupe de rock SAMZARA a accompagné la compagnie sur scène pour la création de ce spectacle. Il a également enregistré la bande son du spectacle pour la tournée.