L’acteur

44fe6464c870da9f99e25bb5698f8069D’aucuns prétendent que jouer la comédie consiste en un travestissement, un mimétisme voire un clonage du personnage en soi. Combien l’idée me semble vertigineuse et l’acte extrêmement dangereux. Non, je ne veux pas de ce « annule et remplace. » Ce personnage de fiction n’existe pas, il n’est qu’un concept, qui agit et réagit davantage en fonction d’une loi dramaturgique que parce qu’il est chair. Non, les personnages que nous interprétons ne sont pas nous.

En revanche, et toute l’importance de la nuance est là, l’acteur, personnalité propre et unique, peut jouer à se projeter dans les situations imaginées par un auteur. Donc, je ne suis pas celui que je joue, mais je joue, moi, à vivre un autre destin, à m’approprier la partition qui m’est donnée. Je suis curieux de ce que je ferais si cette histoire m’arrivait. Je ne veux pas risquer d’être un autre (qui n’existe pas), mais je veux me risquer à rester moi dans un autre contexte. Il ne s’agit donc plus là de déguisement ou de transfert de personnalité quand cela n’est pas d’âme mais d’une projection de soi, d’une véritable sublimation du plus profond de soi, d’une invitation au voyage, d’une confrontation avec un destin qui n’est pas ou jamais tout à fait le sien, et qui n’appartient même pas à l’initiateur de l’histoire que nous racontons. Ainsi appréhendé par l’acteur, chaque personnage est authentique et original (il n’y a plus un mais une foultitude d’Harpagon dans l’Avare de Molière), distinguable par ce qui fait que chacun est chacun, par cette nature d’âme inimitable propre à nous-même. Cette projection de soi dans une situation donnée nous fera mieux nous connaître, nous comprendre nous-même. Et, telle la quête de toute une vie, cette métamorphose pour laquelle nous sommes voués sous peine de disparition, nous éclairera sur la connaissance de nous-même à force de rencontrer des expériences, de pratiquer les hommes dans leurs histoires, dans différentes époques, lieux et contextes.

Pour réussir cette prodigieuse alchimie, une qualité essentielle est requise : l’écoute. De soi (corps et esprit), de ce qui en sort où y entre, de ce que l’expérience a révélé de soi, à soi, à l’autre, de l’autre, du temps… Et combien il apparaît que cette qualité, dans toute sa simplicité et pureté est dure à atteindre. Combien il est inconfortable de ne pas interpréter, arranger, déformer, appuyer sur la touche total avant la fin de l’opération. Mettre son soi de côté pour mieux être soi. Mais là, réside sans doute la clé, de l’élévation de soi, de la progression dans sa discipline, comme du rapprochement vers celui (soi) que nous devons devenir. Alors nous pourrons dire ce qu’un autre a écrit, crier ce qu’un autre a rêvé, nous nous habillerons, un moment, de mots, de songes, d’idées et d’échanges pour mieux observer dans le temps des répétitions et transcender dans le temps de la représentation. Faire, en affirmant un peu plus chaque fois son je dans le jeu, que cet habit là fasse le moine pour celui qui vient apprendre une histoire d’humain.

C.T. – 11 janvier 2003

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